Skip to main content

Le travail en campagne

La valeur travail est à l’honneur. Tous les partis la mettent en avant dans le cadre de la campagne pour les législatives. Ils ont raison, mais quelle conception de la valeur travail ont-ils, quelles conséquences en tirent-ils ? La valeur-travail est souvent réduite à sa rémunération, la célèbre formule « travailler plus pour gagner plus » en est une parfaite illustration. C’est simple, mais est-ce juste ?


Le travail trouve sa valeur dans la réponse qu'il apporte à nos besoins et à nos envies. Bien sûr, il contribue à notre pouvoir d'achat, mais il apporte beaucoup plus dans nos vies. Le travail bien fait est source de fierté, une source de valeur pour celui qui le fait, comme la qualité du produit du travail pour celui qui en bénéficie. La quête de sens qui se manifeste aujourd’hui au sujet du travail témoigne de l'importance son contenu. Le travail pour le travail n'a guère de valeur en soi. Le travail découpé, morcelé, est peut-être plus efficace, mais il perd vite son sens et son intérêt pour celui qui le fait. L'organisation même du travail, le partage des responsabilités, la capacité d'initiative, contribue fortement à concrétiser ou à déprécier la valeur-travail.
Le travail, c'est aussi une tranche de vie. Même si nous passons beaucoup moins de temps que nos ancêtres à travailler, le temps que nous y passons est très important à de nombreux égards. La qualité de vie au travail est une autre dimension de la valeur-travail. Les relations que nous y nouons, Avec les collègues, la hiérarchie, les fournisseurs et les clients, affectent nos personnalités, forgent nos caractères. Le cadre physique du travail, les ambiances, le bruit, la chaleur, les pressions, le stress, sont des éléments de notre bien-être et de notre santé, qui contribuent à notre performance au travail, notre productivité, comme à l’état général de nos vies personnelles hors travail.
Un travail « de valeur » est bon pour chacun d’entre nous comme pour la collectivité.
Côté personnel, le travail est un moment important de la vie. C’est un lieu de socialisation, c’est participer à la production de biens ou de services utiles à la société, c’est l’appartenance à un groupe social, c’est un statut dans la communauté. C’est une occasion de montrer ce dont on est capable, avec le sentiment de fierté qui l’accompagne. Les carences entrainées par la perte d’emploi montrent en négatif que l’emploi représente bien plus que l’accès à un pouvoir d’achat. Il s’agit notamment de dignité et d’indépendance, exigences auxquelles le travail doit apporter une réponse consistante. Comment exalter la « valeur travail » si celui-ci est vidé de sens ?
Côté entreprise ou employeur, le sens du travail, à quoi il sert, l’attachement que l’on peut avoir à son travail, la solidarité dans une équipe, les conditions de travail, la reconnaissance du travail bien fait, et la qualité du management, voilà autant de paramètres dont dépend la production. L’esprit « petit chef » et le contrôle permanent sont démobilisant, alors que la confiance entretient l’esprit de responsabilité et la motivation. Des écarts importants de productivité du travail sont enregistrés en fonction de tous ces paramètres qualitatifs, bien au-delà des 10% d’écart entre 35 et 39 heures, pour ne retenir que cette référence. Les seules conditions de travail dans les bureaux, qualité des locaux, confort et ambiance générale dans les bureaux produisent des écarts de productivité de l’ordre de 15%. En son temps, et dans une autre économie, Henry Ford l’avait bien pressenti en instituant la semaine de 5 jours sans réduction de salaire : « Nous constatons que les hommes reviennent frais et dispos, après un repos de 2 jours, et qu’ils sont capables de mettre leur esprit ainsi que leurs mains immédiatement au travail (1)».
La conception de la « valeur » du travail a des conséquences sur toute notre vie. La retraite, par exemple, n’a pas le même sens pour une personne qui a subi toute sa vie un rythme infernal dans une ambiance de suspicion permanente, et celle qui a trouvé son épanouissement dans le travail. Faut-il à tout prix réduire la durée du travail, chaque semaine ou sur la vie entière, ou faire en sorte que le travail soit une partie « valorisante » de la vie, le sens de la valeur étant bien sûr financier et extra-financier. L’objectif de réduction, poursuivi au cours des siècles, était en partie dû à la pénibilité, aux dangers encourus, aux maladies professionnelles, à un cadre de contrôle pesant, voire insupportable. Ne serait-ce pas à ces défauts qu’il faut s’attaquer ?
La valeur travail exclusivement financière présente bien d’autres défauts, comme celui de négliger de fait le travail gratuit, domestique et associatif notamment. Des apports considérables à la société qui sont purement et simplement oubliés, alors qu’ils sont de plus en plus importants. Voilà d’ailleurs une bonne raison de réduire la durée du travail rémunéré, la libération de temps de vie pour la famille, les amis, et les valeurs citoyennes qui comptent pour chacun d’entre nous.

1 - World’s work, octobre 1926

 

Edito du 15 juin 2022

  • Vues : 534

Ajouter un Commentaire

Enregistrer