L'intelligence à plusieurs
France Stratégie et divers think tanks publient des propositions sur la place du développement durable, des transitions ou de la soutenabilité dans l’organisation ministérielle, à la suite des déclarations du Président sur la mobilisation de la Première ministre sur ces sujets.
Question délicate, avec un passé pas très encourageant. Une question au moins aussi vieille que le ministère de l’Environnement, né en 1971. L’environnement était déjà placé sous la houlette du Premier ministre (PM). Robert Poujade étant ministre délégué auprès du PM, Jacques Chaban Delmas, avant de devenir indépendant par la suite. L’environnement est par la suite rapproché d’autres préoccupations, tourisme, aménagement du territoire, jeunesse et sports, culture, urbanisme, logement, équipement, et aujourd’hui des transports et de l’énergie. La formule Premier Ministre, PM, est revenue deux fois, en 1983 avec Huguette Bouchardeau, auprès de Pierre Mauroy, et en 1988 Brice Lalonde auprès de Michel Rocard.
Après la formule PM, voici la formule « hiérarchie ministérielle », inaugurée avec Alain Juppé en 2007, et reprise avec Nicolas Hulot dans le précédent quinquennat, avec les suites que l’on connait. Reconnaissons-le, aucune de ces formules n’a permis à l’écologie de trouver sa juste place. Il faut croire que ce n’est pas dans l’organigramme du gouvernement qu’il faut chercher la réponse, mais dans la conviction au plus haut niveau de l’Etat et la culture de la haute administration. Les vrais dirigeant « politiques » et « administratifs » de notre pays, pour lequel l’environnement est plutôt un OVNI, un gêneur ou une contrainte, ou encore un enjeu politicien, plutôt qu’un axe directeur de l’action publique. La proximité politique du ministre en charge de l’environnement avec le PM ou, encore mieux, avec le président de la République, est sans doute bien plus importante que la hiérarchie ministérielle. Une proximité qui pré existe, comme Michel D’Ornano avec Valéry Giscard d’Estaing, ou Ségolène Royal avec François Mitterrand, ou qui se construit par le savoir faire des ministres, comme Brice Lalonde qui a su convaincre François Mitterrand et Michel Rocard de mobiliser tous les ministres pour la cause sur les bases d’un colloque « Ecologie et Pouvoir » en 1989.
Le côté interministériel est toujours délicat, chaque département thématique résistant par principe à ce qu’il considère comme des intrusions des « transversaux » dans leurs affaires. Un ministère transversal s’impose aisément, celui du budget, mais au-delà, c’est une volonté politique qui doit le faire, comme en son temps le Plan, « ardente obligation » selon De Gaulle. Un plan victime de son appellation, et de sa connotation interventionniste, alors qu’il constituait un lieu de dialogue de de maturation des politiques publiques comme on aimerait bien en disposer aujourd’hui. Un instrument permanent d’exploration des futurs, avec des commissions réunissant élus, nationaux et locaux, administrations, syndicats, professionnels et ouvriers, ONG et experts, un assemblage qui permettait de rapprocher les points de vue et d’organiser une forme de coopération entre l’Etat et les autres composantes de la société. Les Conseils économiques et sociaux, nationaux et régionaux, élargis à l’environnement, auraient pu jouer ce rôle, mais l’expérience montre que les assemblées élues, détentrices du pouvoir, font peu de cas de leurs contributions, malgré la richesse de beaucoup d’entre elles.
Il y a eu l’initiative des hauts fonctionnaires, ou des « fonctionnaires d’autorité », dédiés à l’environnement auprès de chaque ministère, en charge de l’y faire respecter sinon progresser. Une autorité limitée dans les faits, rien à voir avec les contrôleurs financiers, porteurs des intérêts du Budget et passage obligé de toute dépense. Un visa d’un « contrôleur de l’écologie » sur chaque décision ministérielle semble difficile à imposer, au moins pour deux raisons : La difficulté de vérifier la qualité environnementale d’une décision, dans un champ par nature complexe où le contexte est un facteur clé. Le rejet probable de cette forme de tutelle, que les services concernés tenteraient de contourner de mille manière, l’ingéniosité administrative dans ce domaine n’a pas de limites.
Il reste les études d’impact, dont l’usage a connu des fortunes diverses. Celles concernant des projets comme des routes ou des grands aménagements, ont souvent été perçues par leurs responsables comme des épreuves imposées dont ils se seraient bien passés, alors qu’il s’agit d’un outil d’aide à a décision. De réels progrès ont été faits depuis leur création, loi de 1976, mais il reste encore beaucoup à faire. Concernant les lois et les grands programmes, le règlement de l’Assemblée Nationale impose une étude d’impact dont les résultats sont peu visibles. De nombreux textes sont adoptés qui sont défavorables à l’environnement, notamment des lois de finance.
Comment faire en sorte que chaque ministre se sente « en charge » de l’environnement ou de la soutenabilité ? Dans le choix des ministres, tout d’abord, des hommes et des femmes sensibles à la cause. Un travail collectif des ministres sur les principaux objectifs, une formation accélérée de la haute administration, et surtout une vraie stratégie, la recherche de points d’appui, d’une vision partagée de l’avenir à promouvoir. Plus une manière de travailler qu’une structure. Celle-ci, puisque c’est le sujet du jour, doit surtout favoriser les approches transversales, interministérielles. Un travail d’équipe, l’intelligence à plusieurs.
Edito du 18 mai 2022
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