Fin du mois et fin du monde
Cette année, c’est le 28 juillet. C’est le jour de l’année où nous avons dépensé toute notre paye de l'année, tout ce que la nature a produit et produira pour l'humanité au titre de l'année 2022. Depuis le 29 juillet, nous vivons au-dessus de nos moyens. Deux manières d'y parvenir sans douleur : prélever sur notre capital nature, et tirer des chèques à payer plus tard, par de générations futures. Beau cadeau que nous leur faisons, une capacité productive en baisse, et des charges accrues.
C'est comme la fin du mois. Si le 15 du mois vous avez dépensé tout votre pouvoir d'achat du mois, vous êtes mal. Il y a bien sûr la solidarité, restos du cœur, banque alimentaire et autres institutions caritatives, mais aussi de nombreuses restrictions que vous vous imposez. Finis les petits plaisirs, les faveurs que vous vous accordez de temps en temps pour améliorer votre ordinaire et donner du sel à votre vie quotidienne. La rigueur devient la règle. Rien de tel pour la fin du monde. Nous pouvons continuer gaiement à ponctionner nos ressources, il n'y a ni gendarme ni marché pour nous freiner dans notre boulimie, nos envies de consommer. Le climat se dégrade, le nombre d'espèces animales et végétales est en chute libre, le plastique envahit les océans, les ressources minérales de certaines matières approchent de leurs limites, les indicateurs sont au rouge mais rien ne nous empêche de continuer comme avant, comme si tout allait bien.
Les inégalités que nous observons à l'échelle individuelle quand il s'agit de la fin du mois se retrouvent également entre les communautés humaines. Aujourd’hui, il faudrait une planète 3/4 pour produire ce que l'humanité consomme en un an. C'est une moyenne. Ce coefficient, de 1,75, varie fortement selon les pays. Proche de 3 pour la France, il atteint 9 pour le Qatar, champion du monde de l’empreinte écologique. Avec le mondial de football, ça ne va pas s’arranger. Les Etats-Unis sont à 5. Pour que ces pays fonctionnent selon leurs critères, il faut que d’autres survivent en prélevant beaucoup moins de ressources par habitant. Ça ne surprendra personne, et ces inégalités se manifestent notamment dans l’alimentation.
Pour le WWF et le Global footPrint Network, les systèmes agricoles et alimentaires sont responsables d’une grande partie du problème. « Notre système alimentaire est profondément dysfonctionnel : il repose sur la destruction de la nature et les énergies fossiles, il surproduit et gaspille. Des centaines de millions de personnes ont faim pendant que près de 2 milliards sont en surpoids ou obèses » (1). Les effets de la guerre en Ukraine sont une illustration du phénomène de dépendance et de fragilité dont dépend la survie de millions de personnes.
Le débat sur l'avenir de la planète et de l'humanité est souvent confisqué par la question du climat. Un vrai problème mais qui ne doit pas cacher la surexploitation des milieux naturels et l'épuisement des ressources. La souveraineté alimentaire est devenue une préoccupation de premier plan. Il existe un lien fort entre toutes ces questions de nature globale, avec de nombreuses interférences. Notre agriculture, par exemple, est rarement évoquée quand il s'agit de l'effet de serre, alors qu'elle est le 2e poste d'émissions de gaz à effet de serre en France. 20% de nos émissions pour une production inférieure à 2% du PIB. Un bien mauvais rendement, lié notamment au recours considérable aux engrais et aux produits phytosanitaires, dont la fabrication demande beaucoup d'énergie, la plupart du temps d'origine fossile. L’élevage est également responsable de nombreuses importations d'aliments pour le bétail, en provenance du Brésil, où il contribue à la déforestation. Notre modèle, qui donnait à l'agriculture française la mission de nourrir le monde doit être profondément revu aussi bien dans ses objectifs que dans les moyens à mettre en œuvre. Pour le WWF, le contenu de nos assiettes doit aussi s’adapter aux enjeux globaux, moins de produits animaux, les plus gourmands en ressources.
Appliquons à la planète et au jour du dépassement le même raisonnement que celui que nous aurions pour atteindre la fin du mois, si nous avions tout dépensé aux alentours du 17 du mois. La sagesse serait alors au rendez-vous, et nul doute que nous trouverions les bonnes manières de sortir de l’impasse. La fin du mois comme méthode pour aborder la fin du monde.
1 - https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2022-07/RapportWWFJDD.pdf
Edito du 3 août 2022
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