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Eloge de la visibilité

Que ne reproche-t-on pas aux éoliennes ! Pas tout le monde, heureusement, les trois quarts des français en ont une bonne opinion, et c’est encore plus pour ceux qui habitent à leur proximité. Mais un groupe très motivé, qui fait beaucoup d’agitation, occupe vite tout l’espace, et laisse penser que tout le monde pense comme eux. Un groupe qui fait flèche de tout bois contre ces moulins à vent du XXIe siècle. Une accumulation d’infox pour l’essentiel, et l’accent sur les défauts inévitables, que toute source d’énergie présente. Le défaut le plus évident, c’est que les éoliennes se voient. Alerte au paysage ! Il semble bien que ce soit l’argument majeur des opposants, auquel s’accrochent toutes sortes de phantasmes, comme le lait des vaches qui tournerait aux alentours des éoliennes.
Nous étions bien contents de presser un bouton pour avoir de la lumière, sans penser à tout ce qu’il a fallu pour obtenir ce résultat. Une forme d’insouciance confortable : je consomme, sans égards à ce que cela signifie, aux impacts provoqués par cette consommation. La production d’énergie, et tout particulièrement d’électricité, relève d’une logique industrielle, évidemment complexe et inaccessible au profane. Le simple fait de voir une machine à fabriquer de l’électricité nous invite à entrer dans les coulisses de l’exploit, car c’est bien un exploit de fournir à chacun, gros ou petit, l’électricité qu’il souhaite à tout moment et en tous lieux. C’est aussi l’amorce d’une prise de responsabilité. La chaine qui relie la production et la consommation apparait au grand jour, il n’est plus possible de l’ignorer. L’énergie ne tombe plus du ciel, une révélation que certains ont du mal à accepter.
Paysage et énergie ont toujours cohabité. Combien de forêts ont été exploitées pour fabriquer du charbon de bois, de vallées comblées par un barrage, de rivières détournées pour alimenter des moulins, sans parler des moulins à vent, bien sûr. A l’époque de la traction animale, un cinquième des terres agricoles étaient consacrés à l’alimentation des chevaux, mulets, ânes et bœufs. Et il y a eu les terrils, les lignes à haute tension. L’ère de l’énergie abondante et pas chère, couplée à une politique très ferme de centralisation pour l’électricité et le gaz, fille de monopoles eux-mêmes nés à la libération et longtemps sacralisés, nous a fait progressivement oublier l’importance de la machinerie énergétique.
Le phénomène n’est pas propre à l’énergie. L’intendance est souvent ennuyeuse, laide, bruyante, nous savons qu’elle est incontournable, mais nous ne voudrions pas la voir ni l’entendre. Une forme de déni. Nous avons sorti les usines des villes, les cimetières, les hôpitaux, tout ce qui rappelle le dur labeur et le malheur. Nous avons même exporté en Asie les usines, leurs nuisances, et les emplois ouvriers. Nous avons longtemps enterré nos déchets, et avons expédiés les plus toxiques le plus loin possible. Cette période bénie des dieux, où nous nous affranchissions de tout ce que nous n’aimons pas, touche à sa fin. La planète n’est pas infinie, et il faut trouver sur place les ressources (et en premier lieu l’énergie) dont nous avons besoin, il faut gérer nos propres déchets, il faut redevenir responsable.
Intégrer l’intendance, les ressources et les rejets, toutes ces « fabriques » qui conditionnent nos modes de vie, serait une bonne chose à plusieurs égards.
Tout d’abord parce que nous nous en occuperions. Nous les traiterions avec l’intérêt qu’elles méritent car elles seraient sous nos yeux, elles seraient parties de notre cadre de vie. Nous pouvons faire des usines magnifiques, nous savons intégrer des activités au cœur des villes au plus grand bonheur des voisins, mais tant que ces installations sont rejetées au loin, nous les abandonnons à un triste sort. Loin des yeux, loin du cœur.
Ensuite, pour reconstituer le lien entre nos consommations et notre empreinte sur la planète. Une démarche indispensable pour rétablir un sentiment de responsabilités et donner du sens à nos choix de vie. Finis les chèques en blanc sur l’avenir, nous verrions clairement le coût social et environnemental de nos comportements.
Un exemple trivial est le retour en grâce des escaliers dans les immeubles. Jadis somptueux, ils ont été négligés au profit des ascenseurs. Ils sont devenus tristes, sans lumière naturelle, et souvent sales. Les voici aujourd’hui remis à l’honneur pour nous faire faire de l’exercice, ils sont à nouveau attractifs, lumineux, faciles d’accès. Les locaux techniques font aussi l’objet d’attentions renouvelées, pour faciliter l’entretien qui conditionne leurs performances et la sortie des poubelles. Les faux-plafonds, souvent contraires aux bonnes pratiques énergétiques, vont disparaître, ce qui laissera voir tuyaux et câbles. La transparence impose un traitement des arrières boutiques et des réseaux de toutes sortes, qui vont devenir parties à part entière des bâtiments, à l’image de la tuyauterie spectaculaire du centre Pompidou. La dimension technique entre dans la vie quotidienne de ces bâtiments, elle entre dans nos perceptions, et par suite dans nos mentalités, en complément des aspects sensibles. Une nouvelle culture va ainsi prendre corps, où les objets industriels trouveront leur place. Et les régions les mieux dotées en éoliennes, au lieu de s’en plaindre, se verrons en avance, et en feront un motif d’orgueil !

Edito du 8 juin 2022

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