Eloge de l’horizontal
Il est toujours instructif d’observer les cloisonnements qui nous empêchent de penser. Il semble que le lien environnement et santé n’ait jamais été fait. L’environnement, ce sont les petits oiseaux et les petites fleurs, ou encore ces vilaines pollutions qui tuent les poissons dans les rivières ; et la santé, ce sont les hôpitaux en crise, les médecins qui manquent dans les campagnes, les laboratoires pharmaceutiques qui font des bénéfices incroyables. Le lien « environnement-santé » ne vient pas spontanément à l’esprit. Deux visions étroites, mais aussi deux administrations avec leurs domaines propres, deux thématiques bien distinctes dans les rédactions des journaux, deux classeurs différents dans nos cerveaux. Or il se trouve justement que notre santé dépend pour les ¾ de facteurs environnementaux. Nous ne partons pas de zéro. Le lien est souvent exprimé pour la pollution de l’air, qui fait des morts, il l’est moins avec la qualité de notre alimentation, ou avec notre relation avec la nature et les paysages. Et pourtant, si nous nous intéressons à la qualité de l’air, c’est parce que nous le respirons, à la qualité de l’eau, c’est parce que nous la buvons ou que nous nous y baignons, aux paysages parce que notre sentiment de bien-être y est attaché. Notre santé, si l’on en croit l’OMS, « est un état de complet bien-être physique, mental et social », bien au-delà les soins et des médicaments. Notre cadre de vie, notre alimentation, la qualité de nos relations au monde, en sont des facteurs clé. Habitat et mode de vie, voilà les fondamentaux des politiques de santé, du point de vue « amont », comment rester en bonne santé, et même comment vivre mieux.
Le Conseil économique, social et environnemental a adopté le 10 mai dernier un rapport et des propositions sur le sujet. Le constat est clair. « Les conséquences des dégradations de l’environnement sur la santé s’aggravent et sont de plus en plus documentées ».
L’environnement est reconnu comme une approche transversale, dont la responsabilité incombe désormais à la Première ministre. Le lien avec la santé est une déclinaison de cette nouvelle organisation administrative, comme il l’est avec les politiques d’aménagement et d’habitat. Soyons « horizontaux, explorons cette trilogie, environnement, santé, aménagement.
Logement, lieux de travail et de loisirs, espaces publics de proximité, contribuent pour une bonne part à l’ensemble des expositions auxquelles nos organismes, nos corps, sont soumis. Le terme d’exposome recouvre ce champ de recherche médicale, apparu il y a une quinzaine d’années pour comprendre les effets de l’ensemble des facteurs environnementaux qui se cumulent en nous tout au long de notre vie : ce que nous respirons, ce que nous ingérons, les radiations, le bruit, le paysage, les influences multiples auxquelles nous sommes exposés, ont des effets, bons ou mauvais, sur notre santé physique et mentale, ils se combinent entre eux et produisent des cocktails qui laissent souvent la science démunie. L’habitat est au cœur du sujet, qu’il s’agisse des emplacements, de la conception et l’organisation des locaux, des modes de vie auquel il invite, des matériaux utilisés, des modalités et des pratiques d’entretien et de maintenance.
Au plan mental, la lutte contre la solitude demande un aménagement favorable aux rencontres, magasins de proximité, espaces publics, bancs, etc. La qualité du paysage urbain, le calme ou l’animation selon les cas, le traitement de cheminements piétons, illustrent les marges de manœuvre côté aménagement extérieur. Celui-ci pourra susciter des mobilités actives. Faire du vélo fait faire des économies substantielles à la sécurité sociale. La réhabilitation de l’escalier dans les bureaux, où la tendance spontanée serait plutôt à l’ascenseur même pour un étage, est un exemple de mesure simple dans le tertiaire. C’est une ergonomie des cheminements externes et intérieurs qui nous pousse à « bouger », comme les publicités officielles nous y incitent.
Un urbanisme « climatique » est une autre piste pour favoriser la santé. Des rues orientées en fonction des vents dominants, tant pour évacuer et disperser la pollution que pour offrir des microclimats agréables. Un plan permettant le plus possible l’accès au soleil, prévoyant une présence de l’eau, fontaine, berge d’une rivière, étang, etc. et d’une végétation source d’apaisement, pourvoyeuse d’ombre, favorable à la qualité de l’air, à l’accueil d’oiseaux (mais attention aux allergies et à ne pas freiner la dispersion des polluants).
La recherche de co-bénéfices est consubstantielle au développement durable. Le double, ou multiple dividende. Environnement, habitat, santé, il faut gagner sur les 3 tableaux à la fois, et c’est même la seule manière de progresser aujourd’hui. Une approche transversale, au-delà des cloisonnements qu’il a bien fallu poser pour faciliter l’action, mais qui ne doivent pas être étanches. Notre environnement quotidien, pour une grande part dans des locaux, détermine notre santé, et nos modes de vie, eux-mêmes en relation directe avec notre santé. La séparation des compétences a conduit les politiques sectorielles, agriculture, aménagement, industrie, etc. à répondre à des exigences minimums, ne pas nuire. Allons plus loin, cherchons les co-bénéfices, ces impacts positifs qui enrichissent les approches thématiques : ce serait un grand pas sur la voie du développement durable.
Edito du 1er juin 2022
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