De l’idéologie à la survie
La bonne raison serait donc la survie. Bien triste perspective, de se battre juste pour la survie. En fond de décor l’idée qu’il va falloir se priver, abandonner des projets, revoir nos ambitions. Une approche défensive, conforme au discours largement repris par le monde politique dans son ensemble, de « protéger les Français ». Notre fragilité, notre dépendance, notre vulnérabilité en tête de gondole, pas très vendeur ! Churchill avait bien vendu « du sang du labeur, des larmes et de la sueur », mais avec un objectif exaltant de victoire, et la vision d’un monde libre. Une approche somme toute idéologique. France Nation verte ne propose pas de promesse d’un futur attrayant, qui donne envie. « La transition en manque de récit » pour reprendre le titre de l’éditorial du journal Le Monde(1). France Nation verte ne propose pas de projet, juste des réactions à des phénomènes qui nous menacent. Le football nous l’enseigne sans ambiguïté, une défense sans attaque ne permet guère de gagner, et c’est en marquant des buts que les équipes suscitent l’enthousiasme.
Un projet, une vision d’avenir pour notre société, serait inévitablement marqué par une forme d’idéologie, mais serait bien plus mobilisateur que la simple « survie ». Pas une idéologie toute faite, absolue, « clé en main », à prendre ou à laisser, et parfaitement verrouillée, mais une idéologie ouverte, évolutive, susceptible de s’adapter aux évènements et aux réactions des uns et des autres. Une « idéologie apprenante », pour paraphraser la notion popularisée par Joseph Stiglitz de « société apprenante ». En ces périodes de transition, où les inconnues sont multiples, les « capacités d’apprendre et d’apprendre à apprendre » deviennent les clés du succès et conditionnent l’avenir de chaque pays : « un pays dont la capacité d’apprendre est inférieure à celle de ses concurrents sera distancé dans la course » (2).
Entrer résolument dans le futur, et se donner les moyens de le construire, de lui donner un visage, c’est évidemment une prise de risque, mais c’est aussi une manière de réduire les innombrables risques du « rien faire », et un pari sur l’avenir. Participer à l’émergence d’un futur choisi, plutôt que subir des évènements de moins en moins maitrisables. C’est « une vision nouvelle de la croissance, du développement et du progrès social » (3) qu’il convient d’élaborer, à la fois pour faire face aux crises qui nous menacent, et proposer une nouvelle étape de l’aventure humaine. En leur temps, les philosophes des Lumières ont su proposer une nouvelle vision du monde, et ont ainsi permis de sortir des « anciens régimes », sous toutes leurs formes, en Europe et en Amérique. La période que nous vivons est en attente d’un mouvement de même ampleur, au moment où l’humanité s’approche des limites de la planète, et les a même dépassées dans bien des domaines. La finitude du monde impose d’imaginer une autre forme de croissance, fondée sur le génie humain et non sur le prélèvement toujours plus dangereux de ressources naturelles. Bien sûr, un ensemble de mesures techniques seront les bienvenues, mais elles auront du mal à répondre au besoin sans référence claire à la recherche de nouveaux modèles de développement.
1 -Le Monde daté des 23-24 octobre 2022
2 et 3 - « Une nouvelle société de la connaissance », Joseph E. Stiglitz et Bruce C. Greenwald, Editions Les liens qui libèrent, novembre 2017
Edito du 26 octobre 2022
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