Au-delà de la confrontation
Le système politique français est fondé sur les confrontations, où les minorités sont appelées opposition, et où les oppositions affirment quelles sont là pour s'opposer. Dans cet esprit, prendre la place de l’autre est plus important que faire progresser la société. C’est probablement une forme de péché originel dont résultent nos difficultés à réformer. Comment avancer malgré tout, et en en profitant au passage pour atténuer notre propension à la confrontation, stérile le plus souvent ?
Le développement durable ne s'imposera pas par le haut, par les sachants et les donneurs de leçons. Il doit émerger de la société mise pour cela en situation de créativité, et donc de coopération, d’écoute, d'ouverture, et de prise de risque. La stimulation née de la confrontation peut être une bonne chose, à condition de ne pas être érigée en système de gouvernement, et de lui offrir des portes de sortie en en tirant le maximum d’enseignements. La confrontation « étincelle », qui donne à voir des solutions originales, que chacun pourra mettre à profit.
Un préalable à tout débat apaisé et constructif consiste à éviter de réveiller les vieilles querelles, les conflits d’hier qui ont laissé des traces. La politique des retraites en est un bon exemple, avec son histoire revisitée (nous avons vite oublié que c'est Pétain qui a substitué le principe de la répartition à celui de la capitalisation), son cortège de réformes plus ou moins bien acceptées, et les divergences sur la conception même des retraites : salaire différé, solidarité intergénérationnelle, instrument macroéconomique, etc.
Une manière de faire consiste à changer de focale pour élargir le domaine, de manière à changer le décor et à y a introduire de nouveaux interlocuteurs, non concernés à priori par les vieux conflits. L’équilibre des comptes des caisses de retraite et de ce point de vue le plus mauvais point de départ. Il pointe d'emblée des intérêts divergents, il réveille de vieux combats et se substitue au vrai problème, tel qu’il se pose aujourd’hui : la place des vieux dans une population qui vieillit. L’approche comptable, tout importante qu’elle soit, s’inscrit dans un contexte social particulier, vite instrumentalisé sans aucune analyse partagée. L’approche comptable offre une tribune aux experts, qui s’opposent par principe, mais ne sont guère compris au-delà de leur cercle. Elle occulte la question sociétale, ferme le champ de la réflexion, et enferme les protagonistes dans un scénario bien connu, où aucune innovation, aucune idée nouvelle, ne peut trouver place. Hors des « paramètres », point de salut. Préférons une approche sociétale, qui englobe la dimension financière parmi d’autres, et permet de sortir de la confrontation traditionnelle, patronat/syndicats/Etat. La place du travail dans la vie, la manière de concilier travail et vie personnelle, les apports sociaux du travail, l’organisation du travail tout au long de la vie, la qualité de la vie au travail, et bien d’autres sujets pourraient éclairer les décisions à prendre, et ouvrir d’autres pistes à explorer pour permettre d’obtenir à la fois la production économique attendue et une place honorable pour les vieux. Maintenir ces derniers dans la société, avec un rôle actif en fonction de leurs envies et de leurs capacités, est un objectif beaucoup plus intéressant que l’équilibre des comptes, et il y contribuerait.
Autre débat qui mériterait d’être ouvert au-delà des protagonistes habituels. La place de l’agriculture dans notre pays. Un vieux pays d’agriculteurs, avec leur culture confrontée à la révolution industrielle, leur place déclinante dans la société française, un renouvellement difficile à assurer et, pour beaucoup d’entre eux une situation financière sensible. Malgré tout, un attrait certain, la moitié des jeunes qui s’installent ont des parents non-agriculteurs. Et le débat reste limité dans les faits aux rapports de force entre les agriculteurs et les grandes surfaces. Ouvert sur un champ plus large, les états généraux de l’alimentation de 2017 ont vite été ramenés à ce débat rituel, entre acteurs qui se connaissent bien et se protègent du monde extérieur. Et un résultat décevant, toujours remis en question. Rien de sérieux sur le rôle de l’agriculture, bien au-delà de la production pour l’alimentation et diverses activités industrielles (textile, énergie, etc.) Le territoire absent, la qualité de l’alimentation abandonnée, les questions aussi sensibles que la ressource en eau escamotée, etc. Bien au-delà de la question de la rémunération des agriculteurs, c’est la place de l’agriculture, son rôle social, environnemental, culturel, qui doivent être mis en débat, nul doute que la question de la rémunération y trouvera des réponses plus durables et pertinentes que celles issues d’un rapport de force.
Le développement durable demande un nouveau regard sur les choses, plus ouvert, intégrant des interférences, à la recherche de synergies et de complémentarités impossibles à imaginer dans les négociations confinées dans des cadres étroits et finalement trompeurs. Faire tomber les barrières, les cloisonnements, c’est ouvrir des perspectives nouvelles, bénéficier de nouveaux apports, réveiller des corps sociaux, et mettre en veilleuse les vieux conflits issus du passé.
Edito du 5 octobre 2022
- Vues : 670
Ajouter un Commentaire