La force des émotions
Ledit chemin est semé d’embûches, de pièges, de tentations d’adopter des solutions miracles, sans en voir fait le tour et compris leur fonctionnement et leurs effets, notamment « collatéraux ». Une approche « linéaire », sans considération de la réalité et des interactions dans un monde complexe, est toujours attirante du fait de sa simplicité, elle est facile à « vendre » à l’opinion publique, mais elle est dangereuse si elle n’intègre pas le contexte réel, et risque fort de ne jamais atteindre son but. L’immédiateté qu’impose l’émotion pour trouver des réponses est souvent mauvaise conseillère. Les lois votées en réponse à un évènement insupportable sont souvent dictées par un besoin de réaction instantanée, mais elles se révèlent être « de circonstance », et n’apportent pas, à l’usage, de solution sur le fond au problème posé. L’émotion provoque des mesures rapides, visibles, en lien direct avec le drame qui l’a provoquée, alors que les réponses sont souvent complexes, au long cours, et multidimensionnelles.
Il arrive bien sûr que la violence des faits débloque des solutions difficiles à prendre, mais souvent dans la précipitation, ce qui nuit à la qualité des décisions et conduit le plus souvent à repartir sur des bases anciennes, bien connues du public mais dépassées, au lieu de rechercher des dispositions nouvelles, originales, adaptées aux circonstances.
Les questions de sécurité publique sont toujours sensibles, mais les causes sont profondes, multiples, et les réponses doivent être en conséquence. La sanction est évidemment une partie de la solution, mais une partie seulement, à conjuguer avec d’autres initiatives, d’ordre sociétal, culturel, économique, urbanistique, etc. Autant de paramètres qui ne se manipulent pas dans l’urgence et demandent du temps pour évoluer.
L’émotion peut aussi favoriser des mouvements de grande ampleur, et dans la durée.
Les marches pour le climat et autres manifestations de ce type jouent la carte de l’émotion pour obtenir les changements nécessaires. La planète est en danger, il faut décréter « l’urgence climatique », avec ce que cela signifie de contraintes, d’interdictions et d’obligations. Pourquoi pas, mais là encore les solutions sont multiples, souvent d’ordre culturel, voire « civilisationnel », et à combiner ensemble. Ce sont des phénomènes lents, souterrains, dont les effets sont considérables mais difficiles à piloter par la puissance publique. Il est malgré tout possible d’obtenir ces changements, par des politiques de longue durée, toujours sujettes aux alternances politiques et c’est ce qui en fait leur fragilité. Des politiques qui demandent une large adhésion du public, des entreprises, des institutions et notamment des systèmes d’information. Tout demander à l’Etat relève du leurre, à moins de désirer un Etat autoritaire qui prenne en main tous les aspects de la vie sociale.
Avant de manifester sa colère face à la lenteur et au manque d’ambition des mesures prises, il convient d’identifier quelques leviers sur lesquels faire porter la pression de l’opinion. Les exigences d’ordre général ont peu de chances d’être suivies d’effets. Des leviers faciles à comprendre, avec des mots ordinaires et non ceux des militants ou des technocrates. Je suis très sceptique sur la bonne volonté écologique des gilets jaunes, et tout à fait opposé à leur ambition de prendre l’Elysée comme la Bastille en son temps, mais leur présence sur les ronds-points a traduit le désespoir d’un monde qui se sent relégué, qui n’a aucune perspective. Il en ressort un grand besoin de reconnaissance des territoires, de communautés de proximité. Une nouvelle organisation de la société, véritablement « inclusive » comme on dit, voilà un levier dont il faut se saisir pour « soulever le monde », comme dirait Archimède. Il y a bien d’autres leviers, mais il est vain de croire que l’émotion suffira à changer le monde, sans points d’appui. La sensibilité est un moteur formidable, encore faut-il que la direction soit fermement tenue.
Edito du 12 mai 2021
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