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De la coupe aux lèvres

« Il arrive après tout que les comportements des gens contredisent les croyances, les idéaux et les valeurs qu’ils professent », nous dit J. Baird Callicot(1). Il y a loin de la coupe aux lèvres. Les sondages nous répètent régulièrement que le réchauffement climatique est au cœur des préoccupations des Français. Leur comportement en est-il a traduction ? Il est permis d’en douter quand on voit notre empreinte carbone. Celle-ci s’améliore lentement si elle est calculée à partir de notre production, mais elle régresse plutôt, Covid mis à part, côté consommation. Le carbone émis en Chine ou en Inde pour satisfaire notre mode de vie doit en effet être enregistré à notre débit, plus qu’à celui des chinois ou des indiens dont le niveau de vie et de consommation est globalement bien moins élevé que le nôtre.


La question serait donc le passage de la sensibilisation à l’action. Interrogeons-nous d’abord sur la nature et le contenu de la sensibilisation. Est-elle sérieuse, solide, et porte-t-elle à changer son comportement. La peur du gendarme, par exemple, conduit certainement à modérer ses envies de s’affranchir de contraintes légales, mais pour beaucoup elle stimule la créativité sur les techniques de contournement ou d’évitement. Le « pas vu - pas pris » résiste encore à la peur du gendarme. Nous savons bien, par exemple, que la vitesse augmente le risque sur la route. Ce sont quand même les radars qui nous ont convaincus de lever le pied, prudence vite oubliée quand nous nous sentons hors de contrôle. La sensibilisation reste superficielle, et ne produit pas ses pleins effets. Il y a aussi ceux qui pensent que les changements à faire sont pour les autres. Je suis sensible aux messages de modération, mais ils ne sont pas pour moi, je ne peux pas faire mieux. Ou alors, plus tard, si je suis aidé. Il y a ceux qui n’y croient pas. Si c’était si dangereux, il faudrait être beaucoup plus ferme, plus sévère, voire plus liberticide. L’exemple de la Covid est instructif à cet égard. La sensibilisation par la peur ne fonctionne que quand le risque est évident, face à vous, et c’est évidemment trop tard.
Il y a la sensibilisation par « bourrage de crâne », par répétition à l’infini du message. Est-ce en multipliant les alertes « la planète est en danger » que l’action va suivre ? Les réfractaires au « politiquement correct », et aux injonctions venues d’en haut seront confortés dans leur refus de changer, et les convaincus découragés de voir que la cause ne progresse pas, malgré tous les avertissements. La répétition ne suffit pas, il lui faut un contenu attractif. Tous les publicitaires vous le diront. Il faut séduire, donner envie de croire et d’agir en conséquence. Changer de comportement pour gagner en statut social, en qualité de vie et en bien-être, pour être bien dans sa peau, plutôt que changer, ce qui est un effort, juste pour éviter une régression, ou même une catastrophe à laquelle on espère toujours échapper. Le pire n’arrive pas toujours.
Il serait donc judicieux, quand les sondeurs étudient le sentiment d’une population sur le réchauffement climatique, sur la chute de la biodiversité ou sur le développement durable, d’approfondir l’approche pour comprendre en quoi consiste l’adhésion des publics concernés, qu’elle en est l’origine, comment elle s’inscrit dans la vie courante ou dans les pratiques professionnelles, quelles sont les attentes dans la perspective d’un changement rédempteur. Asseoir la sensibilisation sur les préoccupations vécues des sondés, et non sur celles des donneurs d’ordre, trop marqués, par nature, par leur spécialité ou leur approche. Le réchauffement climatique, première préoccupation des Français en matière d’environnement, OUI dans une question générale. C’est l’air du temps qui s’exprime. Et NON dans une question particulière, centrée sur la vie réelle des sondés, pour lesquels c’est en général le bruit qui domine.
La mobilisation sera bien plus efficace si elle s’appuie sur des sujets immédiatement perçus, avec la promesse de bénéfices à attendre des changements demandés. Ce ne sont pas forcément les plus urgents, mais ils sont incontournables pour enclencher une dynamique. Celle-ci s’enrichira au fur et à mesure que le lien entre sensibilisation et action prendra consistance. La coupure entre les « élites » et le « peuple » est souvent dénoncée. Voilà une manière de la réduire.

1- J. B. Callicot. Genèse. Dieu nous a-t-il placés au-dessus de la nature ? Editions Wildproject, 2021

 

Edito du 28 avril 2021

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