Compétition ou collaboration ?
Les commentaires ont été nombreux sur le taux d’abstention aux dernières élections. Deux français sur trois. Ajoutons-y deux remarques, sur fond de développement durable, version « gouvernance ».
La confrontation n’est pas par nature une mauvaise chose, elle est même souvent féconde, à condition de le vouloir. A l’inverse, elle est stérile si les protagonistes partent avec l’idée que seule leur position compte, et que toute forme d’intérêt pour les idées des autres relève de la compromission, de la tambouille comme je l’ai entendu mille fois sur les ondes. La confrontation-exclusion est encore plus nette quand les règles du jeu électoral conduisent à priver telle ou telle sensibilité de s’exprimer dans les assemblées. La compétition mise en scène dans notre culture politique, où il est demandé de choisir entre deux visions du monde, est mère de la stérilité de la vie politique, chacun restant campé sur ses positions. On en vient à s’interroger sur l’intérêt de ces assemblées, soumises à l’autorité du président qui a tout pouvoir. Une assemblée est faite pour assurer l’échange entre plusieurs points de vue, et non pour enregistrer les volontés de son président. Le spectre, ou la nostalgie de la royauté élective reste bien vivant, et ne favorise pas l’innovation sociale, même s’il existe parfois des monarques éclairés.
La recherche collective du bien commun, de réponses innovantes aux demandes sociales, de réaction constructive aux crises de toutes sortes qui nous menacent, bref le fonctionnement normal d’une assemblée semblent bien éloignées de la démarche politique qui nous est proposée. La prise de conscience de ce décalage est sans doute une des causes de l’abstention massive, bien au-delà du soleil et de la liberté post covid enfin retrouvée.
Cette confrontation-exclusion est d’autant plus malsaine qu’elle s’exerce sur un pouvoir imaginaire, ou réduit à une peau de chagrin. L’Etat reste le grand régulateur, il fixe les règles du jeu, il s’immisce dans la plupart des décisions. Les ressources des régions et départements proviennent en bonne part de dotations budgétaires étatiques, ou de taxes dédiées sur lesquelles les collectivités territoriales n’ont guère de prise. L’impôt voté par ces dernières est fortement encadré, et leurs marges de manœuvres réduites. Les charges des départements, comme l’action sociale et l’entretien des routes, sont elles-mêmes très contraintes, déterminées par des lois ou des situations physiques. L’action des régions serait plus libre, mais l’Etat s’efforce de les guider par des contrats ou des schémas directeurs. Bref, le pouvoir d’innovation, de faire de la politique au sens plein du terme, est largement illusoire. A quoi bon voter pour choisir un gestionnaire ? Si les campagnes électorales prennent pour thème central des sujets étrangers aux compétences des assemblées départementales ou régionales, c’est bien parce que lesdites compétences apparaissent plutôt administratives que politiques. Et pour ce qui échappe à cette logique, le jeu des acteurs veut que toute initiative des dirigeants soit attaquée par les opposants, qui ne veulent en aucun cas consolider la position de ceux dont ils tentent de prendre la place.
Voilà donc deux raisons de ne pas voter, dont la responsabilité n’incombe pas aux électeurs mais à l’organisation des pouvoirs en France et à la culture du monde politique, pour ne pas dire du microcosme. Les réponses sont de deux ordres : une véritable décentralisation, de manière à ce que chaque assemblée soit en charge des principaux enjeux perçus sur son territoire, qui justifient le recours aux urnes pour progresser vers des solutions d’avenir. Le « grand débat » post gilets jaunes avait mis en évidence le besoin de cette réforme, une loi dite « 4D » est en gestation depuis longtemps. L’abstention massive en montre la nécessité. Il reste la culture des élus, le culte du chef, et le choix du « majoritaire », qui se traduit par « vae victis », malheur au vaincu. Le développement durable préconise la collaboration plutôt que la compétition, et rejette toute forme d’exclusion. Bien sûr, il faut un arbitre, il faut prendre des décisions, mais il doit bien y avoir un moyen de les enrichir de la diversité, et ainsi de les consolider. Faire avec le plus possible, contre le moins possible nous dit Gilles Clément. Pourquoi pas en politique ?
Edito du 30 juin 2021
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