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Anticipation et acceptabilité

Nous le sentons bien, dans la crise sanitaire que nous traversons. Il faudrait prendre des mesures préventives très tôt, dès que les premiers indices d’aggravation ou de reprise se manifestent, par exemple dans les eaux usées, mais l’opinion n’est pas prête. Les beaux jours sont encore là, et il ne faut pas gâter la fête. Les oppositions politiques et tous ceux qui contestent « le système » s’emploient d’ailleurs à critiquer toute mesure qui ne s’imposerait pas par son évidence. La prévention, surtout quand elle est collective comme les vaccins ou le port du masque, a du mal à prendre corps tant que le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. Et alors, c’est trop tard, les efforts à consentir sont plus exigeants, ils durent plus longtemps, ils suscitent de la colère et des oppositions virulentes.


C’est comme pour l’environnement. Il s’agit parfois de phénomènes lents, cumulatifs, ou même sournois, qui prennent soudainement de l’importance, quand ils s’approchent des limites acceptables. C’est la goutte d’eau quand le vase est plein. Le dérèglement climatique et la chute de la biodiversité sont de cette nature, comme l’ont été jadis la salinisation des sols, et l’avancée des déserts provoquée par une déforestation massive. Il y a aussi les risques improbables, ceux qui ne devraient jamais se produire, mais dont les effets seraient redoutables s’ils se produisaient quand même. Un barrage hydraulique qui s’effondre, comme à Malpasset le 2 décembre 1959, des usines chimiques qui explosent, comme à Seveso en juillet 1976 ou à Bhopal en décembre 1984, ou encore les catastrophes nucléaires comme Tchernobyl ou Fukushima. Le risque zéro n’existe pas, tout le monde est d’accord, mais cela ne va nous priver des perspectives heureuses que la technologie nous fait miroiter.
Se protéger de ces risques environnementaux, donc collectifs, est toujours délicat, car ils ne sont pas perçus clairement. Ils existent, font partie du paysage, mais ils semblent toujours bien loin, il y a des semeurs de doutes, et les exigences de l’immédiateté les repoussent à « plus tard », il sera bien temps quand ces risques se manifesteront. La peur ne fonctionne pas tant que le danger n’est pas palpable, qu’il n’est pas à nos portes, et que l’on espère y échapper. « Dieu ne le permettra pas » a-t-on entendu dire chez certains évangélistes. Et pour d’autres, Dieu, c’est la science et le progrès technique. Le mot « précaution » est alors caricaturé, il s’apparente à parapluie, et les mesures préventives sont bien difficiles à imposer par un pouvoir politique par nature exposé aux critiques de tous ses opposants. Anticiper devient impossible, en termes d’acceptabilité sociale.
La stratégie de la peur, et de la prudence qui devrait l’accompagner, est inopérante, sauf à accepter l’idée d’un régime à la fois éclairé et autoritaire, ce qui semble plutôt contradictoire et peu enviable. Adieu Cassandre, même si elle a raison, il faut trouver d’autres leviers pour anticiper. Une manière de faire est de substituer une nouvelle (ou renouvelée) demande sociale à celle qui conduit à la prise de risque. Ce n’est pas en faisant peur des catastrophes que l’on fera changer les modes de vie pour lutter contre le réchauffement climatique ou des prises de risque industrielles. Bien au contraire, des sentiments de repli peuvent être provoqués, avec des dénis, des « encore un instant, Monsieur le bourreau ». La cohésion nécessaire pour aller de l’avant, vers de nouveaux modèles, est malmenée par le recours exclusif à la peur.
Proposer de nouveaux modèles de développement, attractifs et compatibles avec la « finitude du monde », apparait comme le meilleur moyen d’éloigner les risques, et d’anticiper pour leur prise en charge en bon moment. L’humain et la qualité de la vie, des relations sociales, voilà de meilleurs arguments à faire valoir pour le changement, où l’anticipation est plébiscitée car porteuse de progrès véritables. Le développement durable, c’est sympa !

Edito du 1er décembre 2021

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