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La fin des illusions

La situation des producteurs américains de gaz ou huiles de schiste me rappelle celle de bédouins de Jordanie il y a quelques années. Ils ont eu une époque bénie des dieux, avec de l'eau en abondance qui leur a permis de cultiver du blé dans d'excellentes conditions. Leur population et leur niveau de vie, ou plutôt de consommation, ont fortement augmenté. Le problème est qu'il s'agissait d'eau fossile, de réserves enfermées dans les profondeurs depuis des centaines de milliers d'années, mais dont le volume était limité. Une ressource qui ne se renouvelle pas. Résultat, au bout d'une quinzaine d'années de prospérité, l'eau vint à manquer, et la période de vaches grasses s'est subitement arrêtée. Le retour à la situation de départ est douloureux. C'est la fin des illusions. Les nouvelles habitudes ont transformé à la fois les modes de vie et les mentalités. Le retour en arrière est perçu comme un échec, un déclassement, et provoque inévitablement de l’amertume.

Revenons aux Etats-Unis et au gaz de schiste. Il a fait la fortune de nombreux agriculteurs. Une manne bienvenue en plus des revenus agricoles ordinaires, et le sentiment de contribuer à une prospérité générale, les USA devenant autonomes pour leur approvisionnement énergétique. Et en plus, un président qui nie les effets négatifs de cette exploitation, comme l'effet de serre. Tous les feux étaient au vert. Depuis quelques années, le tableau s'était assombri, avec la chute du cours du pétrole. Le coût d'extraction de ces énergies non conventionnelles est élevé, et le taux de rentabilité des nouveaux puits s'est effondré. Nombreuses faillites, et début des désillusions. Dans ces conditions, l'arrivée aux commandes d'un président soucieux du dérèglement climatique et de l'environnement vient renforcer le sentiment de déclin. Un déclin déjà bien entamé, et qui semble inéluctable à terme, mais auquel les intéressés espéraient échapper avec la précédente administration. C'est la fin des illusions.
Les réserves fossiles, qu’elles soient d’eau ou de pétrole, sont des aubaines sur le moment, mais elles sont dangereuses par les illusions qu’elles provoquent et les changements structurels qui en découlent, notamment dans les mentalités. Ces réserves ont créé des rentiers, des populations bénéficiant d’une situation privilégiée, et qui n’étaient plus enclines à chercher de nouvelles voies de progrès. Leur principale préoccupation est de faire durer la rente, ce qui s’avère vite impossible, la ressource venant à manquer ou le contexte devenant hostile.
La révolution industrielle et l’exploitation généralisée des ressources fossiles a structuré nos mentalités et nos économies. Au point que certains ne pensent qu’à aller chercher les ressources qui vont nous manquer sur d’autres planètes. La question est plutôt de revenir sur terre, et de concevoir un avenir différent de ce qu’aurait été le simple prolongement des la situation antérieure. Nous consommons déjà plus que ce que la planète produit, et il faudra bien retrouver un équilibre pour éviter une forme d’effondrement, pour reprendre le titre du livre célèbre de Jared Diamond. Certains préconisent un chemin de retour à cet équilibre par la décroissance, la réduction de nos consommations. Perspective peu engageante, et difficile à accepter par tous ceux, et ils sont nombreux, qui ont espéré bénéficier à leur tour de la croissance. Une autre voie est de changer la nature de la croissance, lui donner un autre contenu, ouvrir de nouvelles perspectives. Donner envie d’un nouveau mode de vie, fondé sur une meilleure valorisation de nos ressources plutôt que la recherche sans fin de nouvelles ressources. Un mode de vie attractif, un nouveau contenu du mot « progrès ». C’est le défi du développement durable.

 

Edito du 11 novembre 2020

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