Biodiversité et rentabilité économique
Dans une tribune du journal Le Monde daté des 15, 16 et 17 août, le biologiste Francis Hallé nous dit que "la rentabilité économique est antagoniste de la rentabilité économique". S'il avait raison, la planète serait bien mal partie. Il a sans doute raison dans l'immédiat, en ces temps où l'économie est réduite à ses aspect monétarisables, mais heureusement, l'économie couvre un champ beaucoup plus large, impliquant des valeurs non monétaires, non commerciales, et les "biens communs", dont l'importance a été reconnue par un prix Nobel d'économie.
La qualité des relations humaines, tout comme les apports de la biodiversité à l'humanité sont en effet exclus de l'économie telle qu'elle semble dominer les esprits aujourd'hui, mais ce n'est pas une fatalité. La biodiversité est une valeur économique en soi, à un double titre. D'une part, elle nous offre des plaisirs, elle répond à un besoin sensoriel si ce n'est sensuel, c'est la biophilie, et nous rend bien d'autres services relatifs à la santé, à la culture, à la vie en société. Des servives non comptabilisés et même non comptabilisables, incongrus qu'ils sont aux services marchands. Certains activités économiques, comme le tourisme, tentent de valoriser commercialement ces atouts. La biodiversité devient alors une matière première, mais sans reconnaissance formelle, sans retour d'investissement dans la plupart des cas. Une matière première ainsi surexploitée et en voie d'appauvrissement si l'on n'y prend garde. La biodiversité nous rend aussi des servives gratuits dont le défaut nous coute très cher. De nombreux chercheurs ont tenté de calculer le montant de ces services gratuits, il sont au minimum de l'ordre du PIB mondial, et certaines évaluations proposent des chiffres bien plus élevés. La nature est productive. Les poissons dont une partie de l'humanité dépend pour son alimentation, la purification des eaux et de l'air, la productivité biologique des marais côtiers, la protection que les mangroves ou les coraux apportent face à la violence des tsunamis ou des ouragans, sont quelques exemples des apports gratuits qui diminuent au fur et à mesure que la biodiversité perd du terrain. L'antagonisme que mentionne Francis Hallé concerne la rentabilité pour un investisseur, mais pas celle pour la collectivité. Il revient à cette dernière d'établir des règles du jeu pour que les "biens communs" soient pris en compte, au-delà des bénéfices que les entrepreneurs privés peuvent en attendre. Le cas des forêts, non assimilables aux "plantations" est significatif à cet égard. La forêt rend des services collectifs non monétarisés, alors que les plantations entrent dans le champ commercial. Elles n'appartiennent pas à la même catégorie, et la confusion doit être dénoncée, comme le fait justement Francis Hallé. La clarification qu'il appelle de ses voeux est bien sûr nécessaire, et faciliterait l'adoption de mesures protégeant la biodiversité et les "biens communs" en général, et leur affectant les moyens financiers et humains propres à les maintenir en bon état et même à prospérer, tant leur apports multiples sont utiles aux humains. Une démarche qui doit se développer au niveau mondial, et l'IPBES, la platefore intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (le GIEC de la biodivesité), s'y emploie. Mais elle commence localement, avec la protection de la faune et de la flore "ordinaire", base de la pyramide écologique, dont on sait qu'elles sont victimes de nombreuses agressions. La biodiversité est une richesse pour tout le monde, avec des aspects qui s'intègrent à l'économie et d'autres non. Elle n'est pas "antagoniste de la rentabilité économique", elle y contribue largement. Le développement durable consiste à reconnaître cette contribution, et à lui donner toute sa place.
Edito du 19 août 2020
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