Une culture de retard
L'affaire de la raffinerie de La Mède est instructive sur l'état d'esprit de nos dirigeants, dans les services de l'Etat et à la tête des entreprises. Voilà un projet sans doute intéressant à court terme, c'est le moins qu'on puisse attendre, mais manifestement voué à l'échec dans la durée. Un investissement dans la mauvaise direction. Ils se sont trompé de futur. Comment imaginer qu'un projet directement lié à la déforestation de forêts primaires pouvait avoir de l'avenir ? Seulement en comptant sur des interventions publiques, notamment fiscales, la stratégie du "coup parti", et en espérant se cacher derrière le mot "biocarburant".
Aucune personne spécialisée dans ces affaires n'ignorait que le bilan carbone, déjà défavorable pour les biocarburants produits à base de culture locales, l'était encore plus pour l'huile de palme. Une mauvaise note à laquelle il faut ajouter des atteintes à la biodiversité. ça pouvait passer hier, ou plutôt avant-hier, avant les multiples alertes sur le climat ("la maison brûle", par exemple, en 2002) et la biodiversité, mais aujourd'hui, comment investir sur de telles bases ? Absence d'un minimum de culture environnemtale des décideurs, inertie des modes de penser, paresse intellectuelle qui pousse à faire "comme avant" en croyant qu'il suffit de changer quelques paramètres... Nous voilà mis devant un fait accompli et des exigences, pour ne pas corriger le tir, liées aux emplois. Nous sommes entraînés dans une impasse et condamnés à y persévérer. C'est un peu comme les agriculteurs, qui se battent pour prolonger un modèle fondé sur les pesticides et des besoins en eau toujours croissants, alors que tous les indicateurs montrent que ce modèle est obsolète. Même s'ils s'engagent à réduire de moitié l'usage de pesticides au Grenelle de l'environnement, leur recours à ces produits ne cesse d'augmenter. Cette approche, tant d'une grande entreprise comme Total que d'une profession, que l'on serait tenté de qualifier d'aveugle si ce n'est d'irresponsable, n'est pas une fatalité, et certains dirigeants l'ont bien compris. Le gouverneur de la banque d'Angleterre, Mark Carney, a bien résumé les défis en 2015, devant les Lloyds, à l'intention du monde de la finance. Il met en avant le risque de ne pas s'adapter aux nouvelles exigences, notamment écologiques, et l'exposition des opérateurs négligeants aux recours devant la justice. Le message a du mal à passer, manifestement. Trop de dirigeants, d'entreprises, syndicaux, politiques, sont en retard d'une culture. La pression de l'opinion les pousse à évoluer, mais ils le font à contre-coeur, sans comprendre réellement les enjeux, et en essayant de faire durer, discrètement, les anciennes pratiques, en passant, par exemple, des amendements en catimini à l'Assemblée Nationale. ça ne marche plus, mais la question demeurre : comment faire évoluer la culture de nos dirigeants ?
Edito du 20 novembre 2019
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